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Des fonctionnaires fédéraux ont eu de l'intérêt pour un projet de GNL au Québec

durée 07h54
2 octobre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Par La Presse Canadienne, 2025

MONTRÉAL — De hauts fonctionnaires fédéraux ont vanté les mérites d'un projet de gaz naturel liquéfié au Québec, affirmant qu'il avait le potentiel de permettre l'exportation de «volumes importants» de GNL vers l'Europe, selon des documents obtenus par La Presse Canadienne.

Cette révélation se trouve dans une note d'information fédérale préparée en mai après que Marinvest Énergie Canada, une filiale d'une société énergétique norvégienne, a demandé à rencontrer le plus haut fonctionnaire du ministère fédéral des Ressources naturelles.

Un représentant de l'entreprise a précisé que c'est plutôt un fonctionnaire de niveau inférieur qui a pris part à la rencontre, à la place du sous-ministre.

Ce représentant a ajouté que cette réunion s'inscrivait dans le cadre d'une série d'activités de lobbying menées ces derniers mois à l'intention de hauts fonctionnaires, de membres du personnel politique du bureau du ministre fédéral de l'Énergie, Tim Hodgson, d'un conseiller principal du premier ministre Mark Carney et du chef conservateur Pierre Poilievre.

Publiquement, Ottawa s'est peu exprimé sur ce projet, qui en est encore à ses balbutiements. Or, selon les documents obtenus par La Presse Canadienne, les fonctionnaires souhaitaient entendre le point de vue de l'entreprise sur le processus réglementaire fédéral au printemps dernier, alors que le gouvernement libéral s'apprêtait à déposer un projet de loi visant à accélérer la mise en œuvre de grands projets.

L'installation proposée par Marinvest «pourrait permettre au Canada d'exporter des volumes importants de gaz naturel canadien vers l'Europe afin de soutenir sa sécurité énergétique à moyen terme et sa transition énergétique à long terme», peut-on lire dans la note d'information destinée au sous-ministre de Ressources naturelles Canada.

Les fonctionnaires fédéraux qui ont rédigé et approuvé la note ont également recommandé au gouvernement de s'assurer que l'entreprise soit consciente de l'importance de dialoguer dès le début avec les Premières Nations. En 2021, le gouvernement du Québec a rejeté un projet similaire lié aux combustibles fossiles dans la région du Saguenay, qui avait suscité une opposition généralisée, notamment de la part des communautés autochtones.

Les détails de la réunion de mai n'avaient pas été communiqués auparavant par l'entreprise et ne sont révélés que grâce aux documents obtenus par La Presse Canadienne. Un représentant de l'entreprise a indiqué que cette réunion n'a pas été signalée dans le registre fédéral des lobbyistes, car l'entreprise n'était pas tenue de le faire puisque le sous-ministre n'y a pas assisté.

Les plans pour un nouveau gazoduc et une installation d'exportation de GNL près de Baie-Comeau, sur la Côte-Nord, ont été rendus publics pour la première fois en juillet par «Le Devoir».

À l'époque, le chef de l'exploitation de Marinvest, Greg Cano, avait fait valoir dans une déclaration écrite qu'il existait une «demande claire et croissante» de GNL en Europe et que le Québec était «bien placé stratégiquement pour répondre à ce besoin».

La note d'information de mai conseillait au gouvernement fédéral de «se renseigner sur l'état d'avancement du projet et les prochaines étapes» et de s'informer sur «les prévisions à long terme de Marinvest concernant la demande européenne en GNL».

Elle recommandait également de solliciter «l'avis du promoteur sur le processus réglementaire fédéral et les délais, dans le contexte de l'engagement du nouveau gouvernement à mettre en place des processus plus efficaces».

Dans la foulée de C-5

En juin, le Parlement fédéral a adopté le projet de loi C-5, la loi phare de M. Carney visant à accélérer l'approbation de projets jugés d'intérêt national.

Le bureau du ministre Hodgson n'a pas répondu aux questions concernant le projet de Marinvest cette semaine.

Il a toutefois rappelé par écrit que tous les projets qui seront soumis au nouveau Bureau des grands projets devront renforcer l'autonomie du Canada, apporter des avantages économiques, avoir de fortes chances de réussite, profiter aux peuples autochtones et contribuer aux objectifs en matière de lutte contre les changements climatiques.

Dans un communiqué, Marinvest a déclaré qu'il serait «spéculatif à ce stade» de dire si son projet de GNL pourrait être officiellement désigné comme un projet d'intérêt national. Cependant, l’entreprise a ajouté que le projet s'aligne sur les objectifs du projet de loi C-5, à savoir «l'autonomie, la résilience, la sécurité, les avantages économiques et la promotion des intérêts autochtones du Canada».

«Réunions exploratoires»

La filiale canadienne de la société norvégienne Marinvest Energy AS a été inscrite au Registre des entreprises du Québec en juin. M. Cano est désigné comme son unique actionnaire canadien.

Bien que la société indique n'avoir aucun employé salarié au Québec, elle a déjà engagé plusieurs lobbyistes pour présenter son projet aux responsables gouvernementaux. Quatre lobbyistes du cabinet de relations publiques National sont actuellement enregistrés pour faire pression sur le gouvernement fédéral au nom de l’entreprise.

Outre le personnel des bureaux de M. Carney et de M. Hodgson, la société a également fait pression sur l'ambassadeur du Canada en Norvège.

Selon les informations figurant dans le registre des lobbyistes, l'objectif de la démarche était de «déterminer les conditions applicables à la mise en œuvre d'un projet énergétique transformateur et bénéfique pour l'avenir du Québec et du Canada».

Dans sa déclaration, Marinvest a précisé avoir tenu des «réunions exploratoires» avec des représentants du gouvernement.

«Ces discussions restent préliminaires, car le projet est encore en cours d'élaboration», a souligné l'entreprise, ajoutant qu'elle n'avait pas encore soumis de «projet défini» pour examen.

Marinvest a fait savoir que sa «priorité immédiate» était de discuter du projet avec les Premières Nations. La note d'information de mai indique que le gouvernement devrait «souligner l'importance d'impliquer les communautés autochtones dès le début du processus de conception et de planification du projet» et devrait interroger la société sur ses intentions d'«impliquer les communautés autochtones (…) avant le dépôt de la demande réglementaire».

Une annexe au document rappelle qu'une proposition antérieure visant la construction d'un gazoduc et d'une installation d'exportation au Saguenay «s'est heurtée à l'opposition des communautés autochtones, notamment les Innus du nord du Québec».

Le gouvernement du Québec a annulé ce projet en 2021, affirmant qu'il risquait de «nuire à la transition énergétique». L'année suivante, le projet a également été rejeté par le gouvernement fédéral, après que l'Agence d'évaluation d'impact du Canada a conclu qu'il était susceptible de nuire à l'environnement.

Nouveau contexte

Une porte-parole de la ministre de l'Économie du Québec, Christine Fréchette, a dit ne pas pouvoir commenter le projet de Marinvest, car «aucun projet n'a été soumis officiellement».

Elle a toutefois ajouté que l'administration Trump avait perturbé l'économie du Québec et que le gouvernement avait «le devoir d'examiner de manière objective et rigoureuse les projets d'intérêt national».

Trois lobbyistes de National sont enregistrés pour faire pression sur le gouvernement du Québec au nom de Marinvest. Le premier ministre François Legault a déjà confirmé que des membres de son équipe avaient rencontré les promoteurs du projet.

Le responsable de la campagne climat-énergie chez Greenpeace Canada, Louis Couillard, estime que la reprise des discussions sur le GNL dans l'est du Canada est une réaction à l'intérêt du gouvernement libéral pour les grands projets. Il note que le projet de Marinvest semble très similaire à celui que Québec a rejeté il y a quatre ans, mais reconnaît que le contexte a changé depuis.

«Nous constatons qu'il y a un appétit politique. Mais en termes de rentabilité, aucun investisseur n'est encore connu pour ce projet. Il s'agit d'une petite entreprise norvégienne», a-t-il soulevé.

«Quand je regarde ce projet, je trouve qu'il n'est absolument pas sérieux. Mais il y a une petite armée de lobbyistes (…) et ils rencontrent tous les plus hauts responsables politiques du pays. D'une manière ou d'une autre, quelque part, il y a des gens qui pensent que c'est un projet sérieux.»

Maura Forrest, La Presse Canadienne