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Le «mur maternel» peut freiner l’avancement professionnel des femmes

durée 14h46
8 mars 2024
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

TORONTO — Lorsque Grace Adeniyi-Ogunyankin a eu ses contractions plus tôt que prévu, elle était en train de corriger le travail de ses étudiants. 

« Mes proches me disaient d'aller à l'hôpital. Mon partenaire me disant d'aller à l'hôpital, mais je répondais que je devais finir ça parce qu'une fois que j'aurai ce bébé, je ne sais pas comment je vais pouvoir le faire», se souvient la professeure agrégée de l'Université Queen's.

«C’est à quel point cela peut être fou parce que vous ne voulez pas avoir l'impression de ne pas faire votre travail.»

La détermination de Mme Adeniyi-Ogunyankin à terminer ses corrections alors qu'elle était à l'aube d'un moment charnière démontre la pression qu'elle et d'autres femmes ressentent lorsqu'elles jonglent entre la maternité et leur carrière.

Certains qualifient les défis qu'elles rencontrent de «mur maternel». C'est-à-dire que les perceptions négatives dont les mères font l'objet sur le marché du travail peuvent bloquer les possibilités d'avancement professionnel.

Pour beaucoup, le mur maternel se dresse devant elles lorsque les employeurs et les collègues commencent à douter de leur capacité à faire leur travail parce qu'elles élèvent des enfants.

Un rapport de 2023 de l'organisation internationale Mothers in Science a révélé qu'un tiers des femmes travaillant dans le domaine scientifique tout en élevant des enfants ont vu leurs compétences remises en question par leurs employeurs ou leurs collègues après être devenues parents.

Ce phénomène ne se limite pas à un domaine particulier. «C'est troublant de voir à quel point c'est répandu», déplore Allison Venditti, fondatrice du groupe de défense Moms at Work.

On pourrait supposer qu’il y en aurait moins dans des domaines comme les soins de santé, qui emploient historiquement un plus grand nombre de femmes, mais il y en a des exemples partout, souligne-t-elle.

Cela affecte même les femmes qui ne sont pas enceintes et qui n'ont pas d'enfants, ajoute Mme Venditti, car beaucoup les considèrent comme des mères en devenir dès qu'elles atteignent l'âge typique de procréation.

«Les gens vous regardent et se demandent : "Je me demande quand elle va avoir un enfant"», déplore-t-elle. 

«J'ai eu des conversations avec le responsable des ressources humaines lorsque les gens envisageaient des licenciements et ils se disaient : 'Eh bien, combien de bonnes années lui reste-t-elle ?'»

Selon Mme Venditti, si les femmes ont des enfants, elles deviennent souvent « par défaut » le parent responsable de la garde des enfants et des tâches ménagères. Leurs employeurs considèrent souvent ces responsabilités comme une distraction du travail. Si les exigences liées à l’éducation des enfants deviennent trop lourdes, les mères sont généralement censées mettre leur carrière en veilleuse.

«Lorsque les couples ont ces discussions sur le travail à protéger, ils se concentrent sur la personne qui gagne le plus d'argent et ce sont principalement des hommes», constate Mme Venditti.

Les femmes âgées de 25 à 54 ans gagnaient 89 cents pour chaque dollar gagné par les hommes en 2021, selon des données de Statistique Canada. 

Celles qui s'absentent pour s'occuper de leurs enfants constatent souvent que l'écart salarial est encore plus important, car leur absence peut affecter leur ancienneté et les opportunités qui s'offrent à elles. 

Certaines entreprises tentent d'apporter un soutien aux mères professionnelles. 

La marque de vêtements Patagonia, par exemple, propose à ses employés une garde d'enfants sur place, à son siège social et dans l'un de ses centres de distribution.

Le cabinet PwC propose des prestations de maternité supplémentaires aux mères biologiques, un soutien financier aux parents qui adoptent des enfants, une couverture pour les traitements en fertilité et un accompagnement en matière de congé parental visant à aider les travailleurs à se concentrer sur leur famille pendant leur absence, puis à retourner au travail en gardant à l'esprit leurs objectifs de carrière à long terme. 

L'Institut canadien de recherches avancées (ICRA) rembourse aux personnes ayant une personne à charge de moins de 12 ans les frais associés à la garde des enfants lors des réunions.

Cependant, Mme Adeniyi-Ogunyankin voit encore des obstacles dans des domaines tels que les voyages pour la recherche.

« Si vous partez faire de la recherche, vous ne pouvez pas y aller pendant une semaine ou deux pour obtenir quelque chose de substantiel », a déclaré Mme Adeniyi-Ogunyankin, une boursière de l'ICRA qui étudie les politiques de genre et le l'urbanisme néolibéral dans deux villes nigérianes.

«Pour comprendre le contexte, il faut être là pendant des mois d'affilée. Cela devient un défi quand on a des enfants.»

Lors d’un entretien d’embauche alors que l’un de ses enfants n'avait que quelques mois, elle a entendu un refrain courant : «ne dites pas aux gens que vous avez un enfant».

«J'ai décidé de ne pas faire ça, dit-elle. Je me disais que j'avais un enfant de trois mois et que je devais donc prévoir des pauses pour moi.»

Elle a amené son bébé à des présentations et à des dîners pendant le processus de recrutement. Elle pense que c'était mieux accueilli parce qu'elle travaille dans le domaine des études de genre, mais elle continue de soutenir que «nous n'avons pas besoin de rendre cette partie de nous-mêmes invisible ».

Jessica Metcalf, boursière de l'ICRA qui enseigne à la Colorado State University, est du même avis. Elle s’efforce d’être un modèle pour toutes celles qui aspirent à poursuivre des études universitaires et à avoir des enfants.

Faire les deux signifient parfois prendre des « décisions difficiles », car « la réalité est que je ne peux pas tout faire », a-t-elle déclaré.

«Je dois faire en 40 heures par semaine, ce que certaines personnes ont 50 ou 60 heures par semaine pour faire», raconte-t-elle, soulignant qu'elle ne pouvait pas rattraper son retard au travail pendant les fins de semaine, car elle doit s'occuper de ses enfants.

«Je plaisante souvent pour dire que si j'avais été aussi efficace que maintenant lorsque j'étais aux études supérieures, j'aurais terminé en deux fois moins de temps.»

Pour gérer les exigences du travail et de la maternité, Mme Metcalf a embauché un consultant en sommeil pour simplifier l'heure du coucher de ses enfants afin qu'elle ne se réveille pas plusieurs fois dans la nuit.

Elle croit que les conditions de vie des mères qui travaillent s’améliorent. Son employeur, par exemple, étudie un projet pilote qui pourrait offrir un soutien financier ou des soins temporaires pendant les périodes de recherche.

Le soutien aux mères qui travaillent ne peut pas provenir uniquement de petits changements de politiques internes, juge Mme Venditti. Cela doit provenir de la philosophie opérationnelle de l'entreprise ou d'une nouvelle génération qui améliore considérablement la situation de travail de la suivante.

«Quand les femmes dirigent des entreprises, quand elles créent des entreprises en raison de la façon dont elles ont été traitées, la magie opère», affirme-t-elle.

Tara Deschamps, La Presse Canadienne