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Le premier ministre haïtien a atterri à Porto Rico et tente de se rendre en Haïti

durée 17h07
5 mars 2024
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

6 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

PORT-AU-PRINCE, Haïti — Des responsables ont indiqué que le premier ministre haïtien, Ariel Henry, a atterri à Porto Rico, mardi, alors qu'il tentait de revenir en Haïti pour réprimer une recrudescence d'attaques violentes de gangs armés.

Des responsables ont confirmé à l'Associated Press que M. Henry avait atterri en fin d'après-midi à l'aéroport international Luiz Muñoz Marín, dans la capitale San Juan. Les responsables ont parlé sous couvert d’anonymat, car ils n’étaient pas autorisés à confirmer son arrivée.

M. Henry devait se rendre plus tard en République dominicaine pour se rendre en Haïti, mais le gouvernement de ce pays des Caraïbes a fermé ses frontières aériennes alors que les gangs haïtiens continuent d'intensifier leurs attaques contre des cibles clés telles que les prisons et le principal aéroport international.

Silence radio du premier ministre

Depuis que des gangs armés ont plongé Haïti dans une quasi-anarchie, les Haïtiens se demandent tous: mais où est donc le premier ministre Ariel Henry?

Le dirigeant en difficulté avait pris le pouvoir après l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021. Son absence a été fort remarquée depuis le début de la plus récente — et la plus grave — flambée de violence au pays, la semaine dernière. 

M. Henry, lui, est resté silencieux alors qu'il sillonne le monde, de l'Amérique du Sud à l'Afrique, sans date de retour annoncée.

Pendant ce temps, des groupes armés se sont engouffrés dans le vide laissé au pouvoir. Ils ont tenté lundi de prendre le contrôle du principal aéroport international d’Haïti et ont échangé des coups de feu avec la police et les soldats. 

L’explosion de violence s’est également accompagnée d’une évasion massive dans les deux plus grandes prisons du pays.

Même un décret déclarant l'état d'urgence et le couvre-feu pour rétablir l'ordre ne portait pas l'empreinte du premier ministre Henry. Le décret a été signé par son ministre des Finances, qui exerce les fonctions de premier ministre par intérim.

«C'est la question à un million de dollars», a déclaré Jake Johnston, chercheur associé au Center for Economic and Policy Research, basé à Washington. «Personne ne sait où il est ni quand il reviendra. Le fait qu’il n’ait même pas ouvert la bouche depuis le début des violences a alimenté toutes sortes de spéculations.»

Des gangs ont ouvert le feu sur la police, lundi soir, devant l'aéroport international Toussaint-Louverture, où le premier ministre Henry atterrirait probablement s'il rentrait chez lui.

Un camion blindé se trouvait sur le tarmac en train de tirer sur des gangs qui tentaient d'entrer dans l'aéroport tandis que des dizaines d'employés et d'autres travailleurs fuyaient sous les balles sifflantes. L'aéroport était fermé au moment de l'attaque, sans aucun avion en circulation ni aucun passager sur place. Il est resté fermé mardi.

Les écoles et les banques étaient également fermées mardi et les transports publics étaient paralysés. L'organisation humanitaire Médecins sans frontières a déclaré qu'elle devait ajouter 20 lits supplémentaires à un établissement de soins de traumatologie et de brûlures qu'elle gère dans la capitale, Port-au-Prince, pour faire face à une augmentation du nombre de victimes des violences.

«Haïti est désormais sous le contrôle des gangs. Le gouvernement n’est pas présent, a déclaré Michel St-Louis, 40 ans, devant un poste de police incendié de la capitale. J'espère qu'ils pourront garder Henry à l'écart afin que celui qui prendra le pouvoir puisse rétablir l'ordre.»

Appels à sa démission

Alors que les problèmes d'Haïti sont profonds et défient toute solution miracle, M. Henry lui-même est de plus en plus impopulaire. Son incapacité à gouverner efficacement a alimenté les appels à sa démission — un appel que les gangs ont repris, ne serait-ce que pour promouvoir leurs propres intérêts criminels, a déclaré M. Johnston.

On ne sait pas précisément où se trouve Ariel Henry à l'heure actuelle. Dan Foote, qui a été envoyé spécial de l'administration de Joe Biden en Haïti après l'assassinat du président Moïse, a appris que le premier ministre était à New York pour réfléchir à ce qu'il allait faire — et s'il était sécuritaire de rentrer au pays. L'Associated Press n'a pas pu vérifier cette information.

M. Henry a été vu pour la dernière fois vendredi, au Kenya, lors d'une mission visant à sauver une force de sécurité multinationale que ce pays d'Afrique de l'Est devait diriger sous les auspices des Nations unies. Il avait quitté Haïti il y a plus d'une semaine pour assister à une réunion des dirigeants caribéens en Guyane, où une date limite a été annoncée – par d'autres, et non par lui – pour retarder une fois de plus les élections, reportées à plusieurs reprises. Le scrutin a maintenant été repoussé au milieu de 2025.

C’est cette annonce qui semble avoir déclenché la dernière explosion de violence en Haïti. Tout a commencé par une menace directe lancée par un puissant chef de gang, Jimmy Chérizier, un ancien policier d'élite qui se fait appeler «Barbecue», et qui se présente comme un croisé à la Robin des bois. Chérizier a déclaré qu'il ciblerait les ministres du gouvernement dans le but d'empêcher le retour d'Henry et de forcer sa démission.

Il a semblé mettre sa menace à exécution au cours des jours suivants, lorsque des gangs ont lancé des attaques contre la banque centrale, l'aéroport et même le stade national de soccer. Le point culminant de l’offensive coordonnée est survenu en fin de semaine, lorsqu’une évasion au pénitencier national et dans une autre prison a libéré dans les rues de la capitale plus de 5000 détenus, dont plusieurs purgeaient une peine pour meurtre, enlèvement et autres crimes violents.

Le bureau du premier ministre n'a pas répondu aux demandes répétées de commentaires, et n'a pas non plus indiqué où se trouve M. Henry ni quand il prévoit rentrer au pays.

Soutien de Washington

Ariel Henry, un neurochirurgien à la voix douce, se positionne comme une figure de transition et un artisan de la paix qui bénéficie du soutien du gouvernement américain – longtemps l'allié étranger dominant d'Haïti et la clé de tout effort de stabilisation dans ce pays.

Mais le soutien de l’administration Biden ne s’est pas traduit par de la popularité dans le pays pour M. Henry. Depuis qu’il a pris le pouvoir, il y a plus de deux ans, l’économie est en chute libre, les prix des denrées alimentaires ont grimpé en flèche et la violence des gangs n'a fait qu'augmenter.

L'année dernière, plus de 8400 personnes auraient été tuées, blessées ou kidnappées, soit plus du double du nombre signalé en 2022. L'ONU estime que près de la moitié des 11 millions d'habitants d'Haïti ont besoin d'une aide humanitaire.

De plus, M. Henry n'a pas réussi à amener les acteurs politiques disparates d'Haïti à un accord sur les élections générales, qui n'ont pas eu lieu depuis 2015 dans ce pays.

La récente flambée de violence a renouvelé la pression sur les États-Unis et d’autres puissances étrangères pour qu’ils déploient rapidement une force de sécurité afin d'empêcher de nouvelles effusions de sang. L’administration Biden s’est engagée à fournir un financement et un soutien logistique à toute force multinationale, mais a fermement refusé jusqu'ici d’engager des troupes américaines.

Dan Foote, qui, en tant qu’envoyé du président Biden, s’est opposé aux appels à toute intervention américaine sur le terrain en Haïti, a déclaré qu’une intervention militaire dirigée par les États-Unis ne pouvait absolument plus être évitée maintenant.

«Nous avons laissé la situation empirer tout en abdiquant notre responsabilité envers les autres, a-t-il dit en entrevue. Mais personne ne peut affirmer qu'Haïti n'est pas un État en faillite lorsque la prison est vidée.»

Même si les élections restent le meilleur moyen de stabiliser le pays une fois la sécurité rétablie, les États-Unis devront abandonner leur soutien à M. Henry pour qu’une intervention réussisse, a-t-il déclaré.

«Aucune élection administrée par Henry ne sera acceptée par le peuple haïtien. Sans notre soutien à Henry, les Haïtiens l'auraient expulsé depuis longtemps.»

Evens Sanon et Joshua Goodman, The Associated Press