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Plan de protection du caribou: c'est «comme le supplice de la goutte»

durée 15h24
6 mars 2024
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — Le ministre de l’Environnement du Québec, Benoit Charette, ne peut dire si son plan pour la protection de l’habitat du caribou sera présenté avant la prochaine saison des feux de forêt, mais en Gaspésie, où il ne reste qu’une quarantaine de bêtes, le préfet de la MRC soutient que l’incertitude ne peut plus durer.

Après le ministre fédéral l’Environnement  Steven Guilbeault, qui a répété lundi qu’il aura «l’obligation légale d’agir» si Québec ne présente pas rapidement sa stratégie, c’est au tour du préfet de la MRC de la Haute-Gaspésie de manifester de l’exaspération.

«C’est un peu comme le supplice de la goutte, ça crée de l’incertitude au niveau de tous les acteurs qui profitent du territoire ici chez nous. Il est grand temps que la stratégie soit déposée», a indiqué Guy Bernatchez.

La présentation de la stratégie de protection de l’habitat du caribou forestier a été repoussée à plusieurs reprises depuis 2019 et en février dernier, le ministre Charette avait indiqué qu’elle serait finalement présentée au cours des «prochains jours» ou des «prochaines semaines».

Mais dans une entrevue avec La Presse Canadienne mardi, le ministre n’avait plus la même assurance qu’il y a un mois.

Questionné à savoir si le plan sera dévoilé avant la prochaine saison des feux de forêt, il a indiqué qu’il a «bien hâte de passer à autre chose», mais qu’il «ne peut pas donner de date» ni «d’échéancier précis».

Il a souligné que «l’acceptabilité sociale» dans le dossier du caribou était difficile à obtenir.

«Je ne suis pas en mesure de vous donner de moment précis compte tenu de la complexité du dossier, c'est un travail de pédagogie, de concertation» et «il faut garder en tête l'importance de la foresterie et de la forêt pour la survie de nos régions», a souligné Benoit Charette.

Des stratégies propres à chaque région 

Le préfet de la MRC de la Haute-Gaspésie, Guy Bernatchez, qui «commence à être impatient parce que l'attente est sans fin», est conscient de la difficulté de créer une stratégie qui ferait consensus dans toutes les régions où vivent des caribous.

Mais il plaide pour une stratégie adaptée à chaque région où l'animal est présent et considère que la Gaspésie est prête à mettre en place les mesures pour protéger l’espèce.

«On a un consensus régional. On a une concertation entre tous les acteurs qui font des activités en forêt pour les mesures et les actions à suivre», alors «il faut que le gouvernement dépose sa stratégie, si ce n’est pas au niveau national, alors qu’il la dépose pour la Gaspésie», a indiqué le préfet.

Selon lui, même l’industrie forestière, responsable de la précarité du caribou, est d’accord sur «les mesures qui doivent être mises en place» dans sa région.

Les compagnies forestières «sont prêtes à s'éloigner du parc de la Gaspésie pour favoriser le retour des forêts anciennes, pour remettre l'habitat du caribou en bonne et due forme», a mentionné Guy Bernatchez.

Randonnée interdite dans les Chic-Chocs

Il ne resterait plus que 5252 caribous forestiers ou montagnards au Québec. En Gaspésie, une population isolée d’une quarantaine d’individus vit dans les massifs montagneux des Chic-Chocs et des monts McGerrigle.  

Dans les derniers mois, des sentiers dans la réserve faunique des Chic-Chocs ont été fermés pour protéger la population de caribou qui a été désignée comme espèce menacée en 2009 au Québec.

Selon le préfet Bernatchez, «ces fermetures ont un impact dévastateur sur l’ensemble de l’industrie touristique de la Haute-Gaspésie».

Il demande à ce que ces secteurs soient rouverts pour «la pratique du plein air non motorisé» comme la randonnée ou le ski.

«Les acteurs du milieu récréotouristique, un pilier du développement régional en Haute-Gaspésie, ont besoin de prévisibilité pour planifier l’avenir et assurer la pérennité de leurs activités», a -t-il fait valoir.

Mais le ministère de l’Environnement a justifié la fermeture de certains sentiers par le dérangement que cause la simple présence des humains sur le territoire des caribous.

«On considère comme un dérangement le fait de s'approcher volontairement des caribous, de les suivre, de les poursuivre ou de laisser des animaux domestiques sans surveillance les approcher», a indiqué le ministère dans un communiqué.

«La présence humaine peut pousser les caribous à se déplacer plus fréquemment et à réduire leur temps d'alimentation à cause d'une plus grande vigilance imposée», a précisé le ministère de l’Environnement.

Il y a «urgence d'agir»

La population de caribous est en déclin au Québec depuis plusieurs années et l’exploitation forestière est la principale cause de cette précarité, en raison notamment des chemins forestiers qui détruisent l'habitat et favorisent le déplacement des prédateurs naturels du caribou comme l’ours et le loup.

En août 2022, la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards avait déposé un rapport auprès du gouvernement, dans lequel elle soulignait qu’il y a «urgence d’agir» et qu’il fallait «procéder le plus rapidement possible à l’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie de protection et de rétablissement du caribou forestier».

Quelques jours après ce rapport, Québec et Ottawa avaient conclu une entente de principe pour protéger l'espèce et la province s’était engagée à publier sa stratégie finale sur le caribou forestier et montagnard avant la fin du mois de juin 2023.

Le ministre Charette avait toutefois repoussé la date à cause des incendies de forêt qui frappaient alors le territoire québécois. À l’époque, le gouvernement disait vouloir examiner les répercussions des incendies sur le caribou et sur l’exploitation forestière.

«La prochaine saison des feux de forêt arrive et on n’a toujours pas ce plan-là. Il va falloir qu’il se passe quelque chose bientôt», a indiqué le ministre fédéral Steven Guilbeault dans un échange avec les journalistes lundi.

Le ministre Guilbeault pourrait recommander la prise d’un «décret de protection» du cervidé si Québec n’agit pas.

Stéphane Blais, La Presse Canadienne