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Concernant 2500 logements à Montréal

L'entrée de grands promoteurs privés dans le logement social soulève des inquiétudes

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31 décembre 2025
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Par La Presse Canadienne

L’intention de trois grands promoteurs immobiliers – Groupe Mach, Cogir Immobilier et Groupe Devimco – de construire à Montréal 2500 logements destinés aux sans-abris, dévoilée en novembre par le quotidien La Presse, a frappé l’imaginaire. Ils proposent de construire à profit nul et de remettre ensuite les édifices à la Société d’habitation du Québec pour conserver les logements hors marché.

Il s’agit là de la plus importante, mais non de la seule initiative du secteur privé qui s’insère de plus en plus dans la dynamique du logement social. On peut penser à des initiatives comme Toit à moi, qui veut acheter et offrir 1500 condominiums à loyer modique à des personnes de 55 ans et plus en situation d’itinérance d’ici 2035, ou encore Mission Unitaînés, qui doit compléter d’ici 2027 la livraison de 17 édifices de 100 logements à prix modique pour personnes âgées à travers le Québec. On pourrait aussi parler d’UTILE, un autre organisme à but non lucratif (OBNL) qui, lui, œuvre dans le logement étudiant.

Protéger les équipes

Mais dans le cas des trois grands promoteurs, l’initiative surprend parce qu’il ne s’agit pas d’un OBNL et qu’elle ne s’inscrit pas dans un modèle d’affaires rentable. Anne Cormier, spécialiste des questions de logement social à la faculté d’Aménagement de l’École d’architecture de l’Université de Montréal, croit qu’ils y trouveront quand même leur compte dans un marché où la demande pour les condos et logements de luxe qu’ils construisent habituellement s’est effondrée. «Ils en ont trop construit, le marché est totalement saturé et ils se cherchent vraisemblablement du travail. L’objectif, dans ce cas, c'est de ne pas détruire les équipes qu’ils ont mis du temps à constituer.»

Hélène Bélanger, professeure au département d'études urbaines et touristiques de l’UQAM et spécialiste en logement social, abonde dans le même sens. «Peut-être qu'il n'y a pas de marge de profit comme dans une construction privée à but lucratif, mais leur entreprise roule, leur main-d’œuvre va travailler, donc ça permet à la machine de rouler.»

L'itinérance qui dérange

Une autre motivation évoquée est celle de l’image et de l’environnement urbain, explique Louis Gaudreau, aussi expert en logement social à l’École de travail social de l’UQAM. «C'est vraiment clair que la question de l'itinérance est perçue par la communauté des affaires comme un frein à la croissance de l'économie ou, en tout cas, à la bonne marche des affaires.»

Hélène Bélanger va plus loin, soulignant que «cette itinérance est de plus en plus visible, mais elle est aussi de plus en plus 'poquée' dans le sens où il y a des cas très lourds qu'on voit beaucoup et qu'on ne voyait pas aussi fréquemment il n'y a pas si longtemps. Ça donne une mauvaise image pour les affaires». D’après elle, la communauté d’affaires a longtemps toléré, «mais là, le problème est trop important. On ne peut plus juste le négliger ou le repousser de quelques coins de rue. Il y a des enjeux d’itinérance partout maintenant, dans les banlieues, en région, et le milieu des affaires a un intérêt à régler le problème.»

«Ces grands promoteurs ont participé en quelque sorte à la crise du logement avec la construction de grands projets de condos qu’ils soient locatifs ou en vente et qui sont inaccessibles pour la plupart des ménages, poursuit-elle. Et là, maintenant, il y a un filon qui n'est pas encore occupé puisque le gouvernement délaisse la construction du logement social, donc il y a un besoin criant et ils veulent combler en quelque sorte ce vide dans la construction de logement social.»

Échec de l'État

Les initiatives privées se multiplient justement à cause du désengagement du gouvernement, affirme Véronique Laflamme, porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), un organisme qui milite pour la construction de logements sociaux depuis des décennies. «On a l'impression que les gouvernements, particulièrement celui du Québec, abandonnent leur rôle de maître d'œuvre. Le gouvernement du Québec n'a pas de vision claire ni d'objectifs chiffrés de développement et il se met à la traîne du secteur privé.»

Georgia Cardosi, professeure adjointe à la faculté d’aménagement de l’École d’architecture de l’Université de Montréal, estime que l’implication grandissante du secteur privé «c'est beaucoup plus qu'un désaveu du gouvernement. Ce qu'on est en train de vivre, c'est un échec en général de la présence de l'État dans la problématique principale du logement. Beaucoup des citoyens n’arrivent plus à payer leur loyer, mais nous avions vu ça venir depuis longtemps. Il y a donc une inefficacité, une inaction de la part de l'État.»

«Nous ne sommes pas dans simplement dans une crise du logement, dit-elle, mais plutôt dans une crise des valeurs assez importante, où l'État est de plus en plus absent dans les questions au cœur de la vie citoyenne.»

Hélène Bélanger dresse aussi un constat similaire qui va au-delà du logement. «Le désengagement du gouvernement actuel est clair depuis quelques années et ça, on le voit dans plusieurs dossiers, pas juste au niveau du logement. Le gouvernement actuellement mise beaucoup sur l'entreprise privée pour prendre le relais des programmes sociaux et un peu du communautaire. Ce désengagement, on le voit sur plusieurs plans.»

Réalisation privée, argent public

Les pouvoirs publics ne sont pas absents pour autant. Ces projets peuvent être réalisés à faible coût notamment parce que les terrains sont fournis la plupart du temps par les villes. Et le gouvernement, oui, pige dans le trésor public, souligne Louis Gaudreau. «Ces philanthropes, ce qu'ils proposent, c'est quelque chose qui ne porte pas le nom de logement social, mais qui en a presque toutes les caractéristiques. On parle de construire du logement qui va devenir la propriété de l'État, des offices municipaux d'habitation, et dans lesquels les locataires vont payer un loyer qui est proportionnel à leur revenu. Et ça, c'est la définition d'un HLM, d'un logement public subventionné. Et ce qui est ironique là-dedans, c'est que les politiques officielles du gouvernement du Québec ne proposent même pas ça.»

Ce que Québec fait, dit-il, c’est de financer à la pièce. «Plutôt que de créer des programmes ou de faire rentrer des projets dans des programmes, on finance à la pièce. Unitaînés, par exemple, c'est de l'argent qui a été donné par décret au groupe Maurice pour réaliser le projet qu'il avait soumis.» Et les terrains, eux, ont tous été fournis par les 17 municipalités impliquées.

Aucun financement public n’a encore été octroyé aux trois promoteurs, mais ils ne cachent pas leur volonté d’obtenir de Québec le financement hypothécaire sur plusieurs décennies.

C’est d’ailleurs pourquoi, selon Georgia Cardosi, il faudra garder tous ces projets à l’œil. «Il faut s'assurer qu'il y aura une pérennité des ressources publiques qui vont être consacrées à ça, même quand c'est le privé qui est maître d'œuvre. Il y a toujours des ressources publiques, des terrains, des subventions, des prêts qui sont mis à contribution. Il faut s'assurer que ces ressources-là publiques vont mener à des logements qui vont de manière pérenne demeurer un patrimoine collectif.»

Les plus vulnérables laissés pour compte

La décision de laisser la voie libre au privé dans le logement social n’est pas sans conséquences. «Ce qui me préoccupe davantage, c'est que ces promoteurs sont habitués à construire pour des gens sans enjeux particuliers, fait valoir Anne Cormier. Si on pense aux personnes qui sont les plus visibles, il y en a quand même plusieurs qui ont des problèmes de désorganisation et qui ont besoin d'accompagnement pour pouvoir revenir à des modes de vie plus confortables.»

Elle note que les trois grands promoteurs parlent de construire des édifices de 200 à 300 logements. Or, rappelle-t-elle, «il y a beaucoup de gens qui ont besoin de soutien pour se réinsérer dans la société et 300 personnes, c'est beaucoup trop pour un immeuble, pour cette clientèle. Je trouve ça un peu inquiétant que de telles entreprises se lancent dans du logement qui est destiné à une autre population, sans nécessairement connaître les enjeux que ça présente. En général, pour des gens qui ont certaines difficultés d'adaptation, on est plus dans le maximum 50 logements.»

En d’autres termes, ces promoteurs pourraient répondre à une clientèle bien spécifique, soit la nouvelle cohorte venue gonfler les rangs de l’itinérance parce qu’ils sont incapables de trouver un logement qu’ils peuvent payer. Dans l’article de La Presse du 24 novembre dernier, le président du Groupe Mach, Vincent Chiara, ne se cachait pas de vouloir choisir des locataires sans enjeux de dépendance ou de santé mentale, allant même jusqu’à reconnaître que les joueurs de l’immobilier étaient grandement responsables d’avoir poussé ces gens hors de leurs logements.

Perte de confiance

Au-delà de ces considérations immédiates, Georgia Cardosi ne cache pas ses inquiétudes sur les conséquences à long terme de ce transfert de responsabilité du public vers le privé. «C'est absolument négatif parce que ça enlève beaucoup de sens à la présence de l'État, du gouvernement et des actions publiques qui doivent être mises en place. Ça nuit à la confiance que les citoyens ont envers les autorités publiques et ça risque de déclencher une série d'autres problématiques qu'on ne voit peut-être pas à ce moment-ci, c'est-à-dire d’ouvrir la porte à d'autres types de solutions qui ne sont pas nécessairement souhaitées, soit par les gouvernements, soit par les citoyens eux-mêmes.»

La plupart des experts soulignent que certains pays européens ont mâté la problématique du logement par la construction massive de logements sociaux, mais «il n'y a pas ici cette volonté politique d'être acteur, promoteur, développeur de logements pour s'assurer que les gens sont logés, déplore Hélène Bélanger. C'est ce qui fait que des acteurs privés vont essayer de prendre le relais parce qu'il y a de la place pour le faire. Et je pense que le gouvernement, c'est un peu ce qu'il souhaite parce qu'on peut continuer à se désengager en disant nous avons des grands promoteurs qui ont une conscience sociale et ils acceptent de ne pas faire de profit pour construire ces unités sociales.»

«Donc, l'équation se passe bien ici, on est pour le tout-au-privé. Le privé est là pour répondre aux besoins, mais ce serait très étonnant qu'il soit présent pour répondre aux besoins des plus vulnérables et des cas plus lourds.»

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne

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