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Les trans subissent les contrecoups de la désinformation sur l'identité de genre

durée 04h00
18 mars 2024
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

7 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — Les questions relatives à l'identité de genre ont fait couler beaucoup d'encre. La désinformation entourant ces enjeux est omniprésente, favorisant le climat de tension actuel, ce qui n'est pas sans impact sur la santé mentale des personnes trans. 

Au cours de la dernière année, des manifestations sur les droits des trans ont eu lieu un peu partout à travers le Canada, entrechoquant deux opinions opposées sur ces enjeux. 

Dupré Latour, une femme trans qui a grandi en Afrique de l'Ouest et qui a immigré au Canada il y a cinq ans justement par soif d'affirmer son identité de genre, croit que la religion et les stéréotypes aident les gens à justifier leur haine. 

Elle se désole qu'encore aujourd'hui, des gens croient que la transidentité est une mode. 

«J’entends ça tout le temps (que) les trans, maintenant, il y en a tellement beaucoup. Les gens capotent, mais on a toujours été là. C’est juste que maintenant, on est dans un environnement, dans une ère propice, mais ce n'est pas une mode. Ce sont des gens qui font des sacrifices, des gens qui ne s'aiment pas, qui se regardent dans le miroir et qui se détestent et qui n’ont pas le choix de passer par cela pour vivre leur vie à l’image de ce qu'ils voudraient refléter dans la société.» 

Annie Pullen Sansfaçon, professeure à l'École de travail social de l'Université de Montréal et chercheuse qui travaille depuis 15 ans sur l'identité de genre, confirme que les propos haineux affectent la santé mentale des jeunes trans et non binaires. 

Par exemple, le fait de ne pas permettre d’utiliser leur pronom choisi peut augmenter le niveau de dépression, d'anxiété et d'idées suicidaires, prévient-elle. 

L'ouverture à la diversité de genre commence par l'éducation, mais éduquer sur ces enjeux n'est pas une mince tâche. 

L'organisme GRIS-Montréal fait, depuis 30 ans, des ateliers et conférences dans les écoles pour parler d'orientation sexuelle avec les jeunes. Depuis 2017, l'organisme aborde aussi les diverses réalités d'identité de genre. 

La directrice générale de GRIS-Montréal, Marie Houzeau, constate que les mêmes préjugés qui existaient par rapport à l'homosexualité il y a plusieurs années sont transposés aujourd'hui sur l'identité de genre. «Ce sont les mêmes commentaires qu’on entend, comme quoi le fait d’en parler ça va mélanger les jeunes et (…) les jeunes vont devenir comme ça si on en parle. On disait ça de l’orientation sexuelle il y a 25 ans, et on dit ça de l’identité de genre maintenant.» 

Elle souligne qu'il est bien prouvé qu’on ne peut pas avoir une influence sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une autre personne. 

Son organisme rencontre environ 30 000 jeunes par année dans la grande région de Montréal. La demande pour les conférences sur l'identité de genre est tellement forte que Mme Houzeau évalue qu'avec plus de bénévoles, elle pourrait facilement tripler le nombre de conférences dans les écoles. 

Elle indique toutefois que certains milieux décident de ne pas faire appel à leurs services «parce que ce sont des questions qui sont polarisantes et ils ne se sentent peut-être pas équipés pour faire face à des retours de balanciers qu’ils pourraient avoir de certains parents dus simplement au fait d’aborder ces questions en classe». 

Elle constate une grande disparité quant à la fiabilité des informations qui circulent dans les écoles. «On sait que les jeunes reçoivent beaucoup d’informations par le biais des médias sociaux, certains suivent des influenceurs et ça constitue leur principale source d’informations. On connaît aussi le phénomène des algorithmes et des chambres d’écho qui font en sorte que des jeunes peuvent recevoir uniquement des informations qui vont dans le sens de ce qu’ils pensent déjà, explique Mme Houzeau. Ça peut amener chez certains une désinformation s’ils suivent des gens qui ont eux-mêmes des opinions fondées sur la désinformation.»

Elle nuance que certains jeunes ont la bonne information et qu'ils sont tout à fait à même d’expliquer à leurs collègues les réalités de genre. 

Soins médicaux d'affirmation de genre 

Plusieurs soins médicaux existent pour une transition de genre et Annie Pullen Sansfaçon démystifie certains mythes. 

Des bloqueurs de puberté sont des médicaments qui sont prescrits aux adolescents qui commencent une transition de genre. «Ce n’est pas avant la puberté, on ne parle pas d’enfant, souvent, c’est une première (idée fausse) qu’on entend», soutient la professeure. 

Ce médicament va ralentir le processus de puberté, ce qui va permettre au jeune d'avoir plus de temps pour bien réfléchir à sa décision. 

Les bloqueurs de puberté ne sont pas permanents. Le jeune qui en prend, une fois qu’on cesse le médicament, s'il ne veut pas continuer vers une transition, la puberté reprend son cours en quelques mois, explique Mme Pullen Sansfaçon. 

Selon les plus récentes études, les soins d’affirmation de genre ont des bénéfices au niveau psychosocial et mental pour les jeunes, rapporte la chercheuse. Durant l'adolescence, les bloqueurs d’hormones vont diminuer le risque d’idéation suicidaire. «Ce sont des médicaments qui peuvent sauver la vie d’une personne», fait valoir Mme Pullen Sansfaçon. 

Certains jeunes vont décider d’aller vers une hormonothérapie d’affirmation de genre, donc de prendre de la testostérone ou de l’œstrogène, selon le genre. «Au moment où cette décision sur l’hormone de genre est faite, la jeune personne va avoir eu le temps de mûrir. On ne donne pas de la testostérone à des enfants de huit ans», martèle Mme Pullen Sansfaçon. 

C'est la même chose pour les chirurgies génitales d'affirmation de genre, qui ne sont pas pratiquées sur les enfants. Au Canada, l'âge requis est de 18 ans pour la chirurgie génitale et de 16 ans pour la chirurgie de la mastectomie.

Un suivi avec un psychologue est aussi exigé. Sam Lajeunesse, un homme trans de 43 ans,peut témoigner du bien que cela lui a procuré. «Avant même de réaliser que j’étais une personne trans, j’avais un enjeu avec ma poitrine. À l’époque, je ne savais même pas que c’était possible d’avoir une mastectomie, mais je savais que si je pouvais les dévisser et les mettre dans un tiroir et les laisser là, je l’aurais fait dès l’adolescence», raconte-t-il. 

Après un suivi de six mois avec un psychologue, il a été chercher une lettre de son médecin appuyant sa décision de vouloir une mastectomie et un traitement hormonal. Bien qu'il avait des appréhensions sur les injections d'hormones, notamment des effets secondaires et la vitesse à laquelle les effets pouvaient apparaître, il ne regrette pas son choix. 

L’hormonothérapie est considérée comme semi-réversible, spécifie Mme Pullen Sansfaçon. Certains effets sur le corps peuvent être renversés, parfois par une chirurgie corrective.

Dupré Latour considère par ailleurs que les gens se sentent trop à l'aise de demander à une personne trans si elle a subi une chirurgie génitale. Elle croit que ces questions sont pertinentes dans l'intimité, mais que trop souvent, elles sont abordées après une première rencontre. 

«Des femmes se sentent obligées de faire la vaginoplastie pour être une femme. Je dis tout le temps que l’anatomie ne détermine pas le genre. Arrêtez de vous focaliser sur l’anatomie d’un garçon ou d’une fille», plaide-t-elle. 

La dysphorie de genre est décrite par la Société canadienne de pédiatrie comme une détresse importante qui peut être ressentie lorsque l'identité de genre ressentie ne correspond pas au sexe assigné à la naissance. Les jeunes dans cette situation auront souvent besoin de faire une transition de genre, qu'elle soit sociale ou médicale. 

D'autre part, l'encadrement des pratiques auprès des jeunes trans et non binaires ne date pas d'hier. Les standards de soins sont encadrés par la World Professional Association for Transgender Health (WPATH) depuis 1998 et ils ont été mis à jour à plusieurs reprises depuis.

«Présentement, le consensus scientifique, c’est que de pouvoir accompagner des jeunes dans une prise de décision éclairée par rapport à des soins d’affirmation du genre et d’avoir accès à cela, ça semble être la meilleure voie à prendre pour pouvoir améliorer la santé mentale de ces jeunes», résume Mme Pullen Sansfaçon. 

Éduquer son entourage 

Dupré Latour et Sam Lajeunesse ont tous deux mentionné qu'il leur fait plaisir de répondre aux questions lorsque c'est demandé avec respect. 

M. Lajeunesse admet qu'il n'éduque plus beaucoup son entourage puisque cela fait 13 ans qu'il a fait son «coming out». Il mentionne qu'à un moment ou à un autre de leur parcours d’amitié, certains amis ont eu besoin d’être éduqués. «Ils ont eu des questions auxquelles j’ai parfois répondu, d’autres fois j’ai redirigé les personnes vers les sources d’informations adéquates», se remémore-t-il. 

Pour Mme Dupré, les questionsdéferlent lorsque les gens apprennent son identité de genre. 

«Souvent, les gens vont répondre ‘’ah tu es un homme’’, mais non, je ne suis pas un homme, je suis une femme trans, dit-elle fièrement. Et parfois, c’est lourd de devoir toujours expliquer que tu ne peux pas t’adresser à moi en tant qu’homme.»  

Sam et Dupré décrivent ce genre de discussion comme un éternel «coming out». Ils estiment que certaines personnes tiennent des propos blessants sans le vouloir parce qu’elles ont la mauvaise information, mais d’autres disent des insultes délibérément. «Il y a les deux», reconnaît Mme Dupré. 

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Katrine Desautels, La Presse Canadienne