S'attaquer d'urgence à la gestion de projet
Le monde de la construction veut des réformes majeures dans les contrats publics
Par La Presse Canadienne
Québec pourrait économiser 14 milliards $ au cours des dix prochaines années en faisant un grand ménage dans ses procédures d’octrois de contrats publics et, surtout, en instituant une gestion de projet professionnelle et compétente.
C’est ce que soutient une coalition formée de deux grandes associations du domaine de la construction et deux institutions indépendantes, soit le chapitre montréalais du Project Management Institute (PMI-Montréal) et le Centre d'expertise et de recherche en infrastructures urbaines (CERIU).
«Si les meilleures pratiques en gestion de projet - on parle de gestion de projet en planification de travaux, contrôle des coûts, gestion des ressources humaines, mais aussi d’impliquer les parties prenantes, comme certains partenaires, que ce soit des entrepreneurs, des ingénieurs-conseils ou des gestionnaires de projet et des approvisionnements mieux gérés - ce faisant, les risques ou les délais, tout ça va être mieux mitigé», explique Kateri Normandeau, président de PMI-Montréal en entrevue avec La Presse Canadienne.
Le chiffre de 14 milliards est basé sur une étude internationale de PMI Global, qui démontre que la mise en place de bonnes pratiques en matière de gestion de projet permet d’optimiser les ressources financières de 10%. Or, le Plan québécois des infrastructures 2022-2032 prévoit des investissements de 142,5 milliards, d’où le chiffre de 14 milliards.
Ce chiffre est donc fort probablement sous-estimé, puisque la même logique s’applique aux contrats publics des autres ordres de gouvernement.
S'attaquer d'urgence à la gestion de projet
La question de la gestion de projet est au cœur des demandes de la coalition: «Clairement, l’un des principaux enjeux qui sont soulevés par l'industrie, c'est le manque d'expertise chez le donneur d'ouvrage. Ce manque d'expertise en gestion de projet impacte la définition du projet, le processus puis l'appel à proposition.»
La coalition, dont les deux autres membres sont l’Association de la construction du Québec (ACQ) et la Corporation des entrepreneurs généraux du Québec (CEGQ), constate une nette baisse d’intérêt pour les projets publics au sein des entrepreneurs et professionnels en construction, justement parce que les appels d'offres sont mal faits.
Une étude réalisée il y a un an par la firme Raymond Chabot Grant Thornton montre en effet que 72 % des entrepreneurs et 82 % des professionnels (architectes et ingénieurs, notamment) écartent les donneurs d’ouvrage publics en raison des conditions qu’ils offrent.
La trop lourde bureaucratie
Malgré les demandes répétées d’amélioration et les innombrables promesses politiques en ce sens, les problèmes de processus longs, lourds et complexes et ceux de délais de paiement persistent. Puisque le marché de la construction est en pleine effervescence et que la pénurie de main-d’œuvre limite leur capacité d’adaptation à des contrats publics souvent hors norme, les entrepreneurs et professionnels peuvent se permettre de choisir, souligne Mme Normandeau: «S’il y a une lourdeur contractuelle et des délais de paiement et qu’on a un choix entre une autre opportunité au même moment où il n’y a pas cette lourdeur ou ces délais de paiement, ce sont des gens d'affaires, ils vont prendre des décisions d'affaires.»
«J'ai entendu certaines firmes dire qu’elles choisissent seulement de faire affaire avec des compagnies privées, que c'est un choix qu'elles ont fait dans leur mode de fonctionnement, parce que les projets publics ne sont pas assez attractifs. Ça devient des choix stratégiques», ajoute-t-elle.
«L'attractivité, pour un contrat, on peut résumer ça à deux facteurs clés: il faut que le mode de réalisation soit adapté au type de projet et soumis à une bonne gestion de projet.»
La coalition demande à Québec d’établir de meilleures conditions d’accès aux marchés publics et de développer un pôle d’excellence en gestion de projet avec des personnes formées ou certifiées.
Québec et les municipalités: les pires
Québec est particulièrement visé, puisque l’étude citée plus haut place la Société québécoise des infrastructures, le réseau de la santé et celui de l’éducation respectivement aux deuxième, troisième et quatrième rangs lorsque vient le temps d’identifier les secteurs qui ont connu les pires baisses d’intérêt de la part des entrepreneurs et professionnels entre 2016 et 2021.
Ce sont toutefois les municipalités qui occupent le premier rang de ce palmarès peu glorieux, ce qui tend à donner raison à ceux qui parlent du manque de compétence des gestionnaires de projets. Outre les grandes villes, la plupart de petites municipalités peinent à offrir cette expertise.
On note également qu’au tout dernier rang de ce palmarès se trouvent le gouvernement et les ministères fédéraux, ce qui laisse croire qu’Ottawa s’est doté de meilleures pratiques. Le ministère des Transports du Québec se classe bien également, ce qui laisse croire que de nombreux contrats qui en émanent sont relativement standardisés et que plusieurs entrepreneurs ont acquis des réflexes d’habitude face à ces projets.
Les promesses de Jonatan Julien
Qu’est-ce qui pourrait changer au Québec, après autant d’années de promesses non remplies? La coalition mise sur les signaux provenant de Québec: «Le gouvernement du Québec, le ministre Julien responsable des infrastructures, a vraiment verbalisé au dernier congrès de la CEGQ, qu’il désire améliorer les pratiques en gestion de projet», souligne la présidente de PMI-Montréal.
La balle, selon la coalition, est donc dans le camp du ministre Julien et de son gouvernement.
Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne
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