La vie après les Centres jeunesse

Par Claudy Laplante-St-Jean
Océane* vient de partout et de nulle part en même temps. En une douzaine d'années, elle a déménagé plusieurs fois de familles d'accueil et de foyers de groupe dans la région, sans jamais se sentir à sa place. À l'aube de ses 17 ans, elle fait le grand saut en louant son premier appartement, seule. Portrait d'une ado avec des responsabilités d'adulte.
Avec un père en prison et une mère inapte à s'occuper d'elle, la jeune femme a été mise sous la garde des services de la protection de la jeunesse alors qu'elle avait cinq ans seulement, presque en même temps que ses deux autres sœurs. Enfant de la DPJ, Océane* s'est promenée dans diverses familles et foyers d'accueil, jusqu'à ses 17 ans, où elle a senti un grand désir de liberté s'emparer d'elle.
« Ma dernière famille ne voyait pas les besoins que j'avais. J'avais besoin d'autonomie. J'ai décidé de chercher un appartement », confie-t-elle à propos de l'étape qu'elle a franchie il y a presque un an déjà.
C'est à ce moment-là que Michelle Malouin, éducatrice pour le Programme qualification des jeunes (voir autre texte) est entrée dans la vie de l'adolescente. « Mon rôle, c'est d'accompagner les jeunes dans leur autonomie. C'est un gros projet quand ils partent. Ils n'ont aucune notion sur ce que coûte la vie. Ils veulent un bel appartement, un beau cellulaire. Ils veulent le maximum avec le minimum », explique Mme Malouin.
Celle-ci raconte qu'après avoir visité plusieurs appartements avec Océane, elle n'a pas choisi pour elle. Elle lui a toutefois expliqué les pours et les contres. « Même si je trouvais son choix un peu trop dispendieux, je l'ai laissé aller », ajoute-t-elle à propos du 2 et demi sélectionné dans la région.
Un chemin parsemé d'embûches
Selon Océane, les premiers temps de sa vie en solitaire étaient faciles, toutefois en quittant son emploi, les choses se sont compliquées rapidement. « Au début c'était bien le fun. Après, j'ai eu des difficultés. Je n'avais plus de travail, je n'aimais pas cuisiner. Il fallait que je fasse tout, toute seule », confie celle qui a alors dû faire appel aux banques alimentaires pour manger trois repas par jour.
Alors qu'elle travaille maintenant dans une pizzeria une quarantaine d'heures par semaine, la jeune femme doit composer avec un budget de 1 200 $ par mois pour se loger, se nourrir, se déplacer en autobus, se vêtir et bien plus encore. Elle doit aussi réussir à jongler avec sa vie personnelle, ses nombreuses tâches ménagères, son travail, etc.
« Je ne me considère pas comme une adulte. Je suis une adolescente. Je fais mes folies quand même. Je rentre à 21 h, comme si j'avais des vraies règles avec de vrais parents. À la place, je me les donne. Je n'ai pas perdu ce que j'étais avant. Je vais être une adulte quand je vais avoir un vrai emploi avec une routine, là je ne suis pas encore assez mature », affirme celle qui aura bientôt 18 ans.
Sans réseau social
Le fait qu'Océane n'ait pas de contacts avec ses parents a compliqué les choses puisqu'elle s'est retrouvée sans véritable réseau social. « Tu apprends par toi-même. Tu fais tes erreurs. Il ne faut pas trop compter sur les autres, mais plus sur soi-même », explique-t-elle. « Elle n'a pas une tendance naturelle à aller chercher de l'aide. Il faut qu'elle s'entoure de gens stables », conseille Mme Malouin.
Toutefois, elle peut compter sur la présence de Michelle, sa deuxième maman. «Michelle est beaucoup là pour moi. Elle est là toutes les semaines. Des fois, on n'a pas rendez-vous et elle me texte. Elle est là, peu importe la situation.»
Un futur positif
@R2:Même si elle a connu des moments plus difficiles, le futur s'annonce très prometteur pour la Montérégienne. « Elle a de grandes capacités. Je ne suis pas très inquiète pour elle. La seule chose qu'il faut qu'elle à apprendre, c'est d'accepter que quelqu'un d'autre puisse l'aider », souligne Mme Malouin.
Dans deux mois, Océane déménagera avec sa meilleure amie Marie-Pier* et une autre jeune femme dans un appartement plus grand. « C'est super beau ! J'ai une grande chambre ! C'est juste à côté de chez mon chum, Tyler*, qui me soutient beaucoup avec sa famille. Quand je vais chez lui, je n'ai rien à penser. C'est mon moment de détente pour décrocher. »
En septembre, Océane sera de retour sur les bancs d'école pour terminer son secondaire. Ensuite, elle souhaite faire une technique en éducation spécialisée pour travailler avec les enfants autistes.
« Dans 10 ans ? Je vais avoir une maison. Un chien. Je vais être encore avec mon chum. Je vais avoir été à l'université. Je suis orgueilleuse, je suis sûr que je vais le faire! Sinon, je vais être fâchée contre moi », conclut la jeune battante.
*Les noms ont été modifiés pour protéger l'identité des personnes mineures.
Du centre jeunesse à l'appartement
En Montérégie, 110 jeunes de 16 à 19 ans profitent du Programme qualification des jeunes (PQJ), une initiative implantée en 2008 par l’Association des centres jeunesse du Québec. Avec l'un des dix éducateurs du programme, ils sont préparés au passage à la vie autonome, du centre jeunesse à l'appartement.
Le programme vise à prévenir la marginalisation des jeunes clients des centres jeunesse au moment où cessent les services de la protection de la jeunesse. « Ils présentent des caractéristiques de vulnérabilité qui entraveront leur insertion socioprofessionnelle s'ils ne bénéficient pas d'un suivi particulier et supplémentaire aux services réguliers offerts par les centres jeunesse pour franchir les obstacles que comporte la vie autonome», explique l'Association des centres jeunesse du Québec à propos de la clientèle visée.
Plusieurs buts à atteindre
Concrètement, le PQJ poursuit trois objectifs.
Le premier, celui de développer un réseau de soutien et d'aide autour des jeunes, permet à l'adolescent de créer des liens avec des personnes significatives dans diverses sphères de sa vie.
Le deuxième sert à préparer et à encadrer dans le passage vers la vie automne les participants au PQJ, en les aidant à développer des compétences dans différents domaines de l'autonomie comme les tâches quotidiennes, la gestion monétaire, les habiletés sociales ou les soins personnels.
Le dernier but est d'intégrer 75 % des jeunes sur le marché de l'emploi ou dans une formation qualifiante en mettant de l'avant ses aptitudes.
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