Les distillateurs réclament une modification de la Loi sur la Régie des alcools

Par Myriam Tougas-Dumesnil
Au Québec, la Loi sur la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ) empêche les producteurs de spiritueux de vendre leur alcool sur les lieux de production. Une contrainte qui, selon l'Association des Micro-Distilleries du Québec (AMDQ), empêche le développement de l'industrie.
«Ce qu'on demande, depuis environ 3 ans, c'est de pouvoir vendre à la propriété. Présentement, c'est interdit par une loi désuète, qui n'a pas su s'adapter aux tendances du marché», soutient Michel Jodoin, vice-président de l'AMDQ.
Le propriétaire de la cidrerie Michel Jodoin, à Rougemont, considère que la règlementation en vigueur nuit aux producteurs de spiritueux déjà établis. «Je reçois entre 30 000 et 35 000 visiteurs par année, à la cidrerie. Tous les jours, je refuse de leur vendre mes spiritueux comme le brandy de pommes. Je dois les envoyer dans les SAQ les plus proches», se désole-t-il.
Charles Crawford, président de l'AMDQ et propriétaire du Domaine Pinnacle, considère que la loi nuit également aux entrepreneurs qui souhaitent se lancer dans la distillation. «Je reçois souvent des appels de gens qui voudraient distiller, mais c'est très risqué de le faire. Quand tu produis des spiritueux, tu as un seul client, la SAQ. Si tu n'as pas de référencement ou si ton produit n'est pas accepté par la SAQ, tu es garanti d'avoir des ventes à zéro.»
Michel Jodoin précise que les producteurs de spiritueux doivent passer par un «long processus» avant de voir leur création atterrir sur les tablettes de la société d'État. « Ça peut prendre pas loin d'un an… Et ce n’est pas sûr que le produit va être accepté!»
Produits haut de gamme
Selon les membres de l'AMDQ, la demande pour des eaux-de-vie uniques et haut de gamme est en pleine croissance. Toutefois, la Loi sur la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ) limite le potentiel de développement de l'industrie.
«Je pense qu'il manque de place sur les tablettes de la SAQ. Les produits de niche, plus haut de gamme, n'auront pas leur place. Le seul marché qu'il reste pour les producteurs, c'est l'export», déplore Charles Crawford.
«Si on permettait de vendre à la propriété, comme pour les cidres, on pourrait développer un marché local de produits uniques. Il faut donner plus de choix aux consommateurs», estime Charles Crawford.
Projet de loi
En novembre, le Parti québécois a mis en place sa Politique de souveraineté alimentaire. Cette dernière a notamment comme objectif d'améliorer l'offre de vins du Québec dans les succursales de la SAQ. Toutefois, elle ne touche que les producteurs de vin de raisin. Une spécificité que les producteurs d'alcool de petits fruits, entre autres, avaient dénoncée.
«Je reçois entre 30 000 et 35 000 visiteurs par année, à la cidrerie. Tous les jours, je refuse de leur vendre mes spiritueux comme le brandy de pommes. Je dois les envoyer dans les SAQ les plus proches.» Michel Jodoin
Le 7 juin 2013, le député libéral d'Huntingdon, Stéphane Billette, présentait le projet de loi 395 (Loi modifiant la Loi sur la Société des alcools du Québec et la Loi sur les permis d'alcool). Ce projet de loi prévoyait entre autres de permettre aux distillateurs de vendre leurs produits aux dépanneurs, sur les lieux de production, dans les marchés publics, les foires et les expositions agroalimentaires.
Bien que l'ensemble des députés se soit montré favorable à ce projet de loi, celui-ci n'a pas débouché sur une modification législative. Le déclenchement des élections provinciales a ramené le dossier à la case départ.
Malgré tout, les membres de l'Association des Micro-Distilleries du Québec affirment garder espoir. «Je pense qu'aucun parti ne s'opposera au projet de loi. On sent une bonne volonté politique et on ose espérer que d'ici deux ans, on va avoir avancé dans le dossier», confie Michel Jodoin. Le producteur admet qu'il s'agit d'un dossier complexe, puisque plusieurs ministères sont concernés.
Le président de l'AMDQ, Charles Crawford, croit que «beaucoup d'éléments importants se trouvaient dans le projet de loi du député Billette». «Ce ne serait pas mauvais de reprendre ça comme base. Je pense que les péquistes et les libéraux veulent supporter l'industrie. Maintenant, on attend des gestes concrets. J'ai bon espoir qu'on agira rapidement dans le dossier, parce qu'il y a beaucoup de demandes et de possibilité de développer l'industrie locale. Il faut mettre à niveau nos lois dans le contexte moderne si on veut rester concurrentiels et tirer avantage de la tendance qui s'installe.»
Une loi qui favorise les producteurs étrangers?
L'article 24.1 de la Loi sur la Société des Alcools du Québec stipule que le titulaire d'un permis de production artisanale ne peut vendre ses produits à un autre titulaire de permis de la province. «Ça veut dire que moi, actuellement, je ne peux pas acheter le vin d'un producteur québécois et en faire une eau-de-vie, explique Michel Jodoin. J'ai beaucoup de demandes de petits producteurs, mais je dois dire non. Par contre, je peux acheter un vin d'Ontario ou des États-Unis et le distiller pour faire une eau-de-vie de raisin. C'est incompréhensible.» Me Joyce Tremblay, porte-parole de la Régie des alcools, des courses et des jeux du Québec, confirme qu'il est possible pour un producteur d'acheter des produits d'un peu partout sur la planète, «si la loi du pays en question le permet», ce qui n'est pas le cas du Québec.
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