Chute dans les services
La pandémie a accéléré la migration du travail manuel vers le travail cognitif
Par La Presse Canadienne
La pandémie de COVID-19 a poussé un grand nombre de personnes à abandonner leurs emplois dans les services et les emplois manuels routiniers pour se tourner vers des emplois dans les professions techniques, libérales et de gestion.
Statistique Canada a dévoilé mercredi une enquête intitulée «L’évolution de la nature du travail depuis le début de la pandémie de COVID-19» qui montre que la tendance du marché du travail de migrer vers des postes professionnels, qui était déjà présente depuis des décennies, s'est accélérée durant la pandémie.
Cependant, la baisse dans le secteur des services durant la pandémie représente le seul renversement de tendance puisqu'elle survenait après une hausse modérée mais constante dans les années précédentes.
Santé et robotisation
L’auteur du rapport, Marc Frenette, note que la pandémie et les mesures de confinement «ont suscité de nombreuses préoccupations en matière d’économie et de santé pour les travailleurs et les employeurs. (…) Les travailleurs peuvent avoir cherché un emploi comprenant moins de contacts directs avec les gens, comme des emplois professionnels, qui peuvent souvent être effectués à domicile en cas de confinement», suggère-t-il.
Parallèlement, en raison des impacts sur la chaîne d’approvisionnement entre autres, «les employeurs pourraient avoir tenté de rendre leurs processus de production et de livraison plus résilients en cas de confinement futur. Il s’agit d’automatiser les tâches, puisque les machines, les robots et les algorithmes informatiques ne sont pas vulnérables aux virus biologiques». Les investissements dans les robots se seraient d’ailleurs accélérés pendant la pandémie.
La tendance n’est pas nouvelle. De 1987 à 2019, la proportion d’employés oeuvrant dans les professions liées à la production, aux corps de métier, à la réparation et à l’exécution (qui impliquent des tâches manuelles routinières) a chuté de 29,5 % à 21,8 %. Durant ces trois décennies, la proportion d’employés qui occupaient des postes dans les professions techniques, libérales et de gestion (qui impliquent des tâches cognitives non routinières) est passée de 23,7 % à 32,3 %. Pendant ce temps, les proportions demeuraient relativement stables dans le secteur des services et dans le domaine de la vente, du travail de bureau et du soutien administratif.
L’augmentation de la proportion de postes dans les professions techniques, libérales et de gestion ainsi que la baisse parallèle dans les métiers manuels entre 2019 et 2022 représentent donc une accélération marquée de la tendance.
Chute dans les services
Quant à la préoccupation liée à la santé, on ne s’étonnera pas de constater que les années de pandémie ont vu une baisse des professions dans le secteur des services. «Le déclin dans les professions dans le secteur des services a été particulièrement notable, d’autant plus que la part des emplois dans le secteur des services a augmenté modérément au cours des trois décennies précédant la pandémie», souligne l’analyste.
Sans surprise, cette mouvance illustre une différence entre les hommes et les femmes qui émane de ce que l’on nomme souvent les métiers traditionnels des uns et des autres.
Ainsi, bien que l’augmentation notée dans les professions techniques, libérales et de gestion soit similaire chez les hommes et les femmes, les baisses ne se sont pas produites aux mêmes endroits.
Pour les hommes, la baisse s’est avérée plus significative du côté des professions liées à la production, aux corps de métier, à la réparation et à l’exécution, alors que chez les femmes, c’est plutôt le secteur des services qui a connu la baisse la plus marquée.
Jeunes: migration encore plus forte
Enfin, les données par groupes d’âge sont fort révélatrices. L’augmentation des professions techniques, libérales et de gestion et le déclin des professions dans le secteur des services étaient considérablement plus prononcés chez les jeunes travailleurs (25 à 34 ans) que chez les travailleurs plus âgés (45 à 54 ans).
Si l’on tient compte du fait que les jeunes occupent souvent, à leurs débuts sur le marché du travail, des emplois dans le secteur des services et que ceux-ci étaient clairement plus à risque pour la santé durant la pandémie, la migration plus forte des jeunes vers des emplois moins exposés au public s’explique assez facilement.
Marc Frenette se garde bien, à partir de ces différences entre les groupes d’âge, de tenter de prédire l’avenir. Il écrit cependant que «les tendances par groupe d’âge peuvent donner un aperçu des tendances futures».
«La demande croissante pour des postes dans les professions techniques, libérales et de gestion peut être plus facilement satisfaite par les jeunes travailleurs, dont le capital humain peut être plus malléable. Autrement dit, les jeunes travailleurs sont peut-être mieux placés pour faire un virage, car ils ont généralement moins de responsabilités familiales qui les empêchent de retourner aux études et ils ont plus d’années pour récupérer leurs investissements.»
Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne
Pour partager votre opinion vous devez être connecté.